AME 1 - réflexions Paul Albenge
Pour en revenir aux remarques que j’ai faite sur le rapport à soi dans l’improvisation mais aussi simplement dans la pratique musicale, je parlais de qu’est-ce qu’acquérir une liberté en musique. L’exemple d’Anthony Braxton qui réalise un concert sans prérequis permet de montrer que la liberté n’est pas un acquis naturel dans le sens où par nos habitudes, nos conditionnement propres nous réduisons grandement le champ des possibles. Quand je parlais du travail académique de Steve Lehman, c’est parce qu’en plus de prendre les paramètres musicaux habituels (spectre, temps, espace) il prend en considération les limites cognitives moyennes du corps humain comme horizon du champ des possibles au sein duquel il développe un discours. Cela amène plein de réflexions que l’on pourrait développer. Dans la cadre d’une discussion avec Malik, j’avais abordé avec lui l’intérêt de l’usage des systèmes formels dans l’improvisation – le sujet de ma thèse – et pour lui, c’est avant tout un moyen de développer ses propres capacités. En gros, formaliser des règles contraignantes est outil pour amener sa perception au-delà de ce qu’une pratique plus conventionnelle de la musique aurait pu lui apporter. Il y a, d’après moi, la volonté de s’immergé dans le matériel musical. Pour cela, on cherche à la détacher de son contexte initial pour l’observer, l’appréhender sans apriori (les signatures tonales de Malik en sont un exemple de réappropriation d’un matériel existant de manière inédite). L’utilisation des systèmes formels permets notamment une abstraction de la musique qui, étonnamment, la relie à plein d’autres pratiques. Par exemple, le fait de ne plus penser la quantification du temps de manière divisive – un prend une unité de temps que l’on divise par 2 ou 3 – mais plutôt dans une conception additive – enchaînement de nombre de doubles croches par exemple – nous amène à expérimenter le rapport au nombre de manière sensible. C’est là toute l’importance de l’aspect improvisé. Si tu improvise sur des appuis rythmiques qui suivent la suite de Fibonacci ce n’est pas du tout la même expérience cognitive que d’écrire un morceau sur cette même suite. Il y a un rapport au musique audiotactile (autre concept dont il faudra que je te parle en lien avec les AME). Je m’arrête là sur le sujet car ce mail est déjà particulièrement long. Pour faire bref, il y a quelque chose d’intéressant dans les échanges entre la forme et le fond dans la musique improvisée. Pour ce qui est de l’influence que cela dans mon expérience disons que c’est encore quelque chose que je poursuis actuellement dans mes recherches. Le plus gros point que cela m’a apporté c’est de vraiment comprendre cette expérimentation du corps, là où au départ j’avais une conception de la musique improvisée assez formelle. L’exploration, tel que tu sembles le définir, permet, selon moi, un niveau plus profond de conscience musicale par le sensible. Cela pousse à expérimenter et comprendre comment nous percevons les choses, comment nous nous y réagissons, comment nous les vivons en somme. Pareil, cela demande plus de temps pour développer.